Interview de cinq agents de l’EDF SEPTEN[1] au printemps 1984
La CMCAS de Lyon a rencontré Gilles et Marie Line Champion, Pierre Borel, Jacqueline Pottier, Kyros Christodoulou et Sonia Koutnouyan, cinq agents qui ont crée un groupe de théâtre dans leur Service et qui souhaite le proposer dans notre CMCAS de Lyon à partir de septembre 1984. Nous leur avons posé quelques questions.
Qu’est ce qui vous a motivé pour constituer ce groupe de théâtre au sein de votre Service ?
Gilles : A l’origine de ce groupe, il y a d’une part la volonté que nous avions, Maire Line et moi, de continuer à faire du théâtre dans le cadre des Activités Sociales d’EDF GDF et d’autre part, le désir exprimé par plusieurs collègues de s’initier à l’art dramatique.
Quand nous avons su que la Commission « Arts Culture Loisirs » de la CMCAS de Lyon était disposée à aider les agents qui souhaitaient développer une activité théâtre, nous n’avons plus hésité et décidé de commencer immédiatement, sans attendre notre arrivée à Lyon.
Etes vous tous des débutants ou bien avez vous déjà une « expérience » théâtrale ?
Marie Line : En ce qui nous concerne Gilles et moi, nous avons commencé à faire du théâtre au sein du « théâtre de midi », troupe de la CMCAS de PARIS il y a de cela plus de quatre ans, lorsque nous sommes arrivés à Paris. Nous y avons joué de nombreuses pièces de tous styles : vaudeville classique (Labiche, Courteline), théâtre des années 50 (Tardieu, Vian, Aymé), de la comédie italienne (Goldoni) et la farce shakespearienne des «Joyeuses commères de Windsor», notre dernier spectacle avec le théâtre de midi.
Pierre : Totalement débutant et pour longtemps.
Nous aimerions savoir ce qui vous amène les uns et les autres, à vouloir faire du théâtre et qu’est ce que vous en attendez.
Jacqueline : Enfant, je rêvais de devenir actrice. Devenue adulte, j’ai surtout eu envie d’en faire un «hobby». L’expérience théâtrale est un enrichissement : elle développe la personnalité, elle permet des émotions riches et variées, elle délasse, elle comble, elle responsabilise. C’est une aventure et un plaisir.
Kyros : Tenter une nouvelle expérience dans la vie, connaître un monde inconnu, donner de soi, exprimer des sentiments, des idées et faire des gestes que la vie quotidienne nous empêche de faire.
Pierre : Pour ma part, j’y ai vu surtout une sorte de jeu et un moyen de m’exprimer, je ne pensais pas réellement à la scène. Mais tant qu’à jouer, autant le faire jusqu’au bout, dans tous les sens du terme.
Sonia : Ma principale motivation pour le théâtre est le goût du risque. Je pense que pour l’acteur, comme pour un funambule sur sa corde, la moindre maladresse peut être fatale, le contact avec le public rompu. Cette recherche d’équilibre est grisante….La scène donne le sentiment de faire quelque chose de grand, de beau. Il s’agit en quelque sorte d’une revanche sur une vie parfois terne, un moyen pour chacun de combattre sa passivité, de «s’aérer»….la scène est aussi prétexte : les enfants se déguisent ou joue «à la maîtresse»; à la «marchande», mais pas les adultes. Cela paraîtrait ridicule et déplacé. La scène est donc l’un des rares endroits où il soit encore possible pour un adulte d’interpréter des personnages ou situations diverses, en un mot de « fantasmer » sans choquer. Et se mettre dans la «peau des autres» est si passionnant ! Notre volonté est de faire partager notre plaisir à tous.
Une enquête récente fait apparaître que seulement 16 % des français vont au moins une fois par an au théâtre et si cette fréquentation tend à augmenter, elle reste relativement faible. A votre avis, à quoi cela est il dû et comment comptez vous faire pour enraciner cette activité au sein de la CMCAS ?
Kyros : Si les gens vont assez peu au théâtre, je pense que ce n’est pas par manque de temps et d’argent ( ils vont bien au cinéma ou voir Iglésias et Cie). Je pense que l’idée qu’ils se font du théâtre est celle qui est colportée par les médias (télé, radio, etc), à savoir qu’il se réduit aux pièces trop intellectuelles que l’on voit et qui ne représentent pas assez les rires et les pleurs de la vie quotidienne, ou du moins pas avec un langage touchant le grand public. L’éducation commence toujours par des choses simples à comprendre.
Sonia : Par mesure de facilité, les gens ne sortent plus beaucoup. Il me semble que le public redoute le CONTACT avec les acteurs, leur présence dans la même pièce. Les gens ont l’habitude de manger devant la fascinante télévision en parlant de leurs problèmes quotidiens ou en commentant les scènes pendant leur déroulement sur le petit écran (les mauvaises habitudes se prennent vite !) et perdu celle d’applaudir quand ils sont satisfaits…A notre époque de constante évolution technologique, la magie des choses simples ne passe plus aussi facilement, car le public est devenu plus exigeant.
Gilles : L’expérience montre que la meilleure façon d’enraciner cette activité consiste à «intervenir» au plus près des agents, c’est à dire à aller jouer dans les SLV, sur les lieux habituels de rassemblement du personnel. Nous contribuons ainsi à démystifier le théâtre en essayant de faire passer aux agents un moment de détente le plus agréable possible. Il y a également tout le travail que l’on peut faire en direction des jeunes pour les sensibiliser.
Pensez vous avoir des atouts dans votre groupe ?
Pierre : Je me suis aperçu que plusieurs d’entre nous avaient une expérience de l’écriture, dans des poèmes, des nouvelles, dans des articles de journaux…Peut être est ce un atout qui nous permettra un jour d’être entièrement responsables de nos créations, de l’écriture au jeu en passant par la mise en scène.
Gilles : Une volonté commune de faire quelque chose d’autre que le travail, dans l’amitié et le respect de nos différences.
Pour terminer, pouvez vous nous dire ce que vous faites en ce moment ?
Gilles : nous préparons avec un professeur metteur en scène que nous payons en nous cotisant, des petites pièces de Obaldia (Le défunt), Ionesco (la lacune) et Courteline (La peur des coups), que nous aimerions jouer dès la fin juin 1984 au SEPTEN. Comme vous le voyez, un large choix d’auteurs, de quoi contenter tout le monde.
[1] L’EDF- SEPTEN est un service qui se décentralisait en juillet 1984 sur Villeurbanne et la CMCAS de Lyon s’apprêtait à les accueillir.